« Bonjour S. Comment tu vas aujourd'hui ?
— Bien.
— Tu sais... Tes parents ont eu un petit... Accident.
— Un petit accident ? Gros comment ?
— Très gros.
— Ils sont où ?
— Ils ne vont pas revenir.
— Ils sont au ciel c'est ça ?
— C'est ça. Tu es une petite fille très intelligente. »

Je n'ai jamais été une fillette qui extériorisait quoi que ce soit. Je crois me rappeler que ma plus grande réaction à l'annonce de la mort de mes parents fut « Oh. » Et pourtant... Dieu sait si je les aimais. Mais j'étais très jeune. L'avantage de perdre ses parents jeune, c'est qu'on ne se rend même pas compte de la gravité de la situation. Les gosses sont anesthésiés des nouvelles choquantes comme ça. Et... Honnêtement, heureusement pour eux. Le souci c'est qu'en grandissant, ils se rendent bien compte que ce n'est pas normal. Moi j'ai été exportée dans un orphelinat. J'ai été séparée d'un frère que j'adorais. Ses parents m'avaient adoptées, et j'étais devenue leur fille, mais avant tout la sœur de Caleb. Je l'aimais plus que tout. Il était un peu... Un Dieu, ouais voilà. Un super-héros surpuissant et moi, petite poupée de chiffon il me rassurait en me serrant entre ses bras les soirs où l'orage grondait trop fort.

Très vite, une famille d'accueil a craqué pour ma bouille rondouillarde et mes grands yeux sombres. Les gens m'ont embarquée sur leur dos, moi je me retournais sans cesse, guettant avec tout l'espoir du monde, la silhouette de mon frère qui me suivrait comme toujours. Mais il ne m'a pas suivie. Et c'est là que déjà, j'ai cru mourir. Je me sentais seule. Abandonnée. Triste. Je tournais en rond comme un poisson dans un bocal. Je griffonnais les murs de tous les gros mots d'enfants que je pouvais avoir entendus à l'école. Du genre... Caca boudin. Je vous en dis pas plus faut laisser planer le mystère. Aherm. Bref toujours était-il que j'étais la plus malheureuse des petites filles. Je traînais les savates, rechignant à aller en cours, tirant sur les cordes le plus souvent possible dans l'intention de faire craquer tout le monde. Je disais « Ramenez moi à l'orphelinat je veux aller voir mon frère. »

Personne ne m'a écoutée. Quoi de plus logique... J'étais juste... Une gamine. Une gamine perdue, éperdue, perturbée.

J'ai finalement décidé de me calmer, au bout d'une longue période où je gueulais « CALEEEEEB » à tout bout de champ et sur tous les tons entre les murs de ma chambre. J'ai accepté de grandir, d'aller à l'école, de devenir jeune fille. J'ai même eu un chien à vrai dire. Il remplaçait pas mon frère, personne n'a jamais pu remplacé mon frère. Mais le chien était là le soir après le primaire. Il était là le soir après le collège. Il me regardait dans les yeux, et c'était dans le noir de son regard que je me perdais avant de lui raconter ma journée. Mais Caleb n'a jamais disparu de mon coeur. Il n'a pas non plus disparu de mon esprit. Il était là. Toujours. Toujours au fond de moi, en moi, et plus je grandissais, plus je pensais à lui. Il devait être magnifique. L'enfant que j'avais connu était déjà si beau... Et peut être que lui aussi pensait à moi. Je me trouvais anormale d'aimer mon frère adoptif. Des aventures ? Oui j'en ai eu aussi. Je suis sortie avec plusieurs garçons, entre mes 13 ans et mes 15 ans. J'ai même tenté une expérience lesbienne avec ma camarade de classe au collège. Et puis... Est arrivé un jour particulier. Le jour de mon admission à Oxford. La prestigieuse université. J'étais fière. J'étais surdouée. J'étais une des plus jeunes de mon année à intégrer le bâtiment.

C'était déjà décidé. J'allais au département littéraire. Je me sentais écrivain dans la tête. Et puis de toute façon, les lettres ça sert toujours dans la vie.

J'ai ouï dire que des forces pas très amicales faisaient parler d'elles ces derniers temps. Bon, j'avoue... Ça me fait pas des masses plaisir de voir des trucs comme ça arriver. Et puis c'est un peu effrayant... ? Mais je refuse d'adhérer à la mascarade. Je ne suivrai pas le délire ambiant qui consiste à prendre parti du bien ou du mal. De toute façon, le mal est très subjectif. Et puis moi... Je m'en fous. Même si... Quelques fois je me sentirais prête à aller me promener en foret la nuit toute seule pour attirer la faucheuse. Je suis perturbée, je sais bien. Et je me soigne. Tout du moins... J'essaie.